Entretien avec Evelyne Moreau, maîtresse de Raven.
Qu’est-ce qui vous a poussée à faire une demande de chien guide ?
J’ai perdu la vue à l’âge de 33 ans et je n’ai jamais réussi à m’habituer à la canne blanche. Je suis une personne qui a toujours aimé les chiens. Jeune, j’avais un berger allemand que j’aimais beaucoup. Elle n’était pas du tout éduquée pour être chien guide, mais j’y étais très attachée et j’ai attendu qu’elle me quitte pour faire ma première demande à l’École de Chiens Guides de Paris.
À l’époque je voyageais dans toute la France et à travers l’Europe, avec la canne, c'était devenu impossible. Doria, mon premier chien guide, une superbe labrador noire que j’ai eu en 1990, a bouleversé mon quotidien. Grâce à elle j’ai pu continuer mon travail et me sentir en sécurité lors de mes déplacements professionnels. Elle a révolutionné ma vie… Je n’étais pas vraiment en forme et elle m’a sauvée. Je dis toujours que mon premier chien guide m’a fait recouvrer la vue. Elle m’a permis de débloquer beaucoup de choses au niveau psychologique.
Aujourd’hui Raven est mon quatrième chien guide et je n’imagine pas ma vie sans ces merveilleux chiens.
Pouvez-vous nous parler de votre handicap ?
J’ai d’abord été malvoyante, les médecins avaient bon espoir que je recouvre la vue grâce à une opération. Je leur ai fait confiance et je me suis fait hospitaliser. Malheureusement, cela a aggravé ma situation et je suis devenue aveugle du jour au lendemain. J’ai ressenti une profonde colère, mais j’ai toujours réussi à aller de l’avant. Grâce à une réadaptation professionnelle, j’ai pu être formée à l’utilisation d’outils spécifiques qui m’ont permis de rentrer dans l’aviation civile en 1987. Rapidement, j’ai compris que mon embauche leur servait à remplir leurs quotas et je fus mise « au placard » à cause de mon handicap.


Battante dans l’âme, j’ai toujours su rebondir dans ma vie personnelle et professionnelle et cela m’a conduite vers de riches expériences. Aujourd’hui, je mets mon savoir au service des autres en accompagnant les entreprises dans l’intégration des salariés en situation de handicap.
Comment décririez-vous vos relations avec les chiens guides que vous avez eus ? Quels changements vous ont-ils apportés ?
Je n’ai eu que des femelles et elles ont toutes été très importantes pour moi et je reste en admiration devant le travail qu’on leur fait faire, c’est fantastique ! Ce sont des chiens exceptionnels.
Doria m’a été remise lorsque j’étais enceinte de ma fille. A sa naissance, Doria a été super avec elle et d’une grande aide pour moi. Nous avons été un binôme soudé pendant 10 ans, puis elle a eu une belle retraite, bien méritée, chez mes parents, j’ai donc pu continuer à la voir tous les jours.
Les premiers moments avec Oriane, mon second chien guide, une bergère blanche suisse, furent compliqués. Il y a eu quelques ajustements au début et l’École de Chiens Guides de Paris m’a accompagnée grâce à un suivi régulier et des séances de travail. Par la suite, notre duo a fonctionné à merveille jusqu’aux 11 ans d’Oriane. Elle a ensuite bénéficié d’une retraite dorée.
J’ai toujours eu un lien particulier avec Danaé, ma bergère allemande. Je l’ai presque toujours connue, dès l’instant où je l’ai rencontrée à trois mois, j’ai su que ça serait elle. Une fois qu’elle a été éduquée, Laurence m’a confirmé qu'elle serait bien mon troisième chien guide. Nous avons toujours été toutes les deux extrêmement fusionnelles, elle est arrivée dans ma vie lors de grands changements pour moi, ce qui a renforcé notre lien. À chaque nouvelle étape elle était présente à mes côtés. Ça a été une chienne extraordinaire et je l’ai gardée jusqu’à l’âge de 12 ans. Je ne cache pas que cela a été douloureux de m’en « séparer » lorsqu'elle ne fut plus en âge de me guider. Grâce au soutien de l’École, elle est allée dans une famille retraite au moins aussi exceptionnelle qu’elle.
Lorsque c’était possible, j’ai toujours essayé d’anticiper bien en amont les départs à la retraite de mes chiens et d’enchaîner avec un renouvellement quasiment immédiat. Il m’est très dur de retourner à la canne. Cependant, en 2020 avec la situation sanitaire, je n’ai pas pu avoir un nouveau chien et je suis donc restée un an sans chien guide. Ce fut finalement une bonne chose, car je me déplaçais peu et j’ai pu faire en douceur « le deuil » de ma relation avec Danaé.
En 2021, on m’a parlé de deux bergères allemandes qui auraient pu me convenir, j’ai donc rencontré Raven lorsqu’elle avait dix mois, je l’ai revue par la suite et c’est elle qui me convenait le mieux, tant au niveau physique que comportemental. On se ressemble beaucoup toutes les deux.
Comment décririez-vous le lien que vous avez avec Raven ? Comment est-elle au quotidien ?
Cela fait trois mois que je l’ai et elle est déjà tellement mignonne. Bien sûr, nous devons encore nous perfectionner sur le plan technique, mais c’est une chienne vraiment très affectueuse.
Je n’en ai jamais eu des comme ça ! Elle adore me ramener plein d’affaires, les miennes, les siennes, elle me fait beaucoup rire. Elle est vraiment rigolote. Elle me correspond bien, elle est vive et j’ai toujours eu besoin d’un chien qui bouge
C’est un amour de chien…Encore !
Je remercie Essilor qui a financé l’éducation de ma petite Raven. Après une période sans chien guide, je peux de nouveau sortir et me sentir libre dans mes déplacements. Merci à eux et à l’École de Chiens Guide de Paris.
Pourquoi avoir choisi l’École de Paris ?
À l’époque, c’était le tout début de l’association. J’ai visité l’École avec mes parents et j’ai été comme « obnubilée ». Quand j’ai fait ma première demande, je voulais un berger allemand et on m’en présenta deux. Ils étaient encore chiots je savais donc qu’ils ne seraient pas prêts immédiatement. Monsieur Romero savait que je n’étais pas à l’aise à la canne et que j’avais beaucoup de déplacements. Cela devenait donc urgent pour moi d’avoir un chien guide. Pendant que je faisais connaissance avec les chiots, il a fait rentrer discrètement Doria et elle est venue immédiatement jouer avec moi en m’empêchant de jouer avec les bergers. J’ai trouvé ça touchant. Au final, c’est elle qui m’a choisie.
J’ai un lien particulier avec l’École de Chiens Guides de Paris. J’ai été administratrice et vice-présidente de l’association pendant de nombreuses années. C’est une vraie histoire d’amour entre les chiens guides et moi ! Vous savez, cela nous apporte tellement un chien guide, les gens ne peuvent pas se rendre compte. Ce sont plus que des chiens de compagnie, plus que des chiens de travail… je ne peux plus vivre sans.
Un souvenir ?
Je me souviendrai toujours de ma première remise avec Doria.
« Cette chienne est très forte, si vous lui montrez un trajet, elle est capable trois semaines plus tard de vous le retrouver » m’avait-on dit. J’avais vu un itinéraire avec un éducateur et j’y suis retournée avec elle quelque temps après. Au bout d’un moment, je me suis rendu compte que nous nous étions trompé de sortie. Je la gronde un peu et nous faisons demi-tour. Au moment de tourner, Doria s’arrête net et s’assoit. Impossible de la faire avancer. Nous sommes restées « bloquées » plusieurs minutes et je ne comprenais pas son refus d’avancer. D’un seul coup, elle se relève et part naturellement dans la bonne direction et m’amène là où je devais me rendre, sans encombre. C’est ce jour-là que j’ai compris que c'était un chien avec un fort caractère ! En fait, elle n’avait pas apprécié que je la querelle et elle me l’a fait gentiment comprendre. Avec du recul, je trouve la situation vraiment comique, et son côté têtu faisait partie de son charme.
Je pourrais parler de mes chiens guides pendant des heures, tellement j’ai de souvenirs avec chacune d’entre elles…