Arthur, en vacance est assis à côtés de Loya, ils sont radieux.

“Le chien guide a un droit d’accès dans tous les lieux ouverts au public…”

Pour nous qui sommes sensibilisés à la nécessité pour un maître d’avoir avec lui son chien guide en permanence, cette phrase nous paraît évidente. 

Et pourtant…

Arthur, comme de nombreux maîtres ou familles d’accueil, a connu des refus d’accès dans des lieux publics, à cause de son chien. Un événement marquant lui reste en mémoire, si bouleversante que cette cause a été portée jusque dans les médias. 

 

Dans un premier temps, pourrais-tu te présenter ?

Je suis Arthur, papa de Loya, mon chien guide de 8 ans. Professionnellement, je travaille sur un projet qui s’appelle Epop, valorisant l’expérience de vie et le savoir-faire des personnes en situation de handicap.

Que dire de plus, je suis marié, trentenaire depuis peu, musicien, curieux et joyeux !

 

Qu’est-ce qui t’a poussé à faire une demande de chien guide ?

Mon chien de compagnie est décédé en 2016. J’ai contacté l’École de Chiens Guides de Paris en septembre de la même année, parce que je remarquais bien que mes problèmes de vue s’accentuaient et que mes trajets quotidiens devenaient compliqués.

Je ne me voyais pas avec une canne, donc pour joindre l’utile à l’agréable, j’ai fait une demande de chien guide.

 

Peux-tu me parler un peu de ton handicap ?

Bien sûr. J’ai eu une vie plutôt classique jusqu’à mes 13 ans, jusqu’à un été où j’ai remarqué que ma vision nocturne était vraiment mauvaise. On m’a diagnostiqué une rétinite pigmentaire, donc une fragilité des tissus rétiniens qui fait peu à peu baisser ma vue centrale.

De mes 13 ans à mes 25 ans, ça allait à peu près, bien que ma vue ait baissé. Je passais mon temps à me cacher, cacher mon handicap, jusqu’au jour où j’ai fait une demande de chien guide. Je ne suis alors pas seulement devenu visible, je suis devenu remarquable, et maître de mon adaptation. J’ai donc connu deux phases : une de dissimulation puis une d’adaptation. Je ne vivais plus contre mon handicap, mais avec. Et puis je trouve ça beau, un chien guide et son maître.

 

Qu’est-ce que le chien guide a changé dans ton quotidien ?

Loya m’a apporté de l’autonomie et de la précision. Maintenant, dans la rue, on me laisse passer.

J’ai aussi gagné en fluidité. Avec une canne, on doit taper un objet pour savoir qu’il est là, alors qu’avec un chien, pas besoin de se heurter, grâce à lui l’obstacle est évité.

Et surtout, c’est une boule d’amour qui nous accompagne au quotidien. Dans la rue, sa présence facilite le contact humain, on vient nous parler. Ce n’est pas que du fonctionnel, ça change le rapport qu’on a à la maladie, et c’est assez bouleversant.

 

Peux-tu me parler de Loya ? Quel est son caractère ?

Les premières fois que je l’ai vue, elle était très froide, mais au fur et à mesure, on a appris à se connaître et à se reconnaître, elle m’a accepté comme étant « son humain ». Elle a un côté « chien chat », parfois je la caresse et elle s’en fiche complètement, mais par ailleurs, on remarque qu’elle a toujours une oreille pour moi, une empathie spécifique et qu’elle fait réellement attention. 

Arthur et Loya sont au ski, Arthur à ses bâtons de ski dans les mains.

C’est une boule d’énergie, mais pas débordante. Disons qu’elle choisit ses moments. Au guidage elle est très concentrée, donc parfois un peu lente, mais avec les copains dans un parc, elle est complètement folle. Elle est étonnante parce qu’elle sait être aussi calme qu’énergique quand il le faut.

 

Tu as rencontré de nombreux problèmes d’accessibilité dans les lieux publics depuis que tu te déplaces avec Loya, une histoire en particulier a fait du bruit dans les médias. Peux-tu me raconter ce qui s’est passé ?

Ça a commencé assez peu de temps après la rencontre du chien.

C’était en septembre 2018, une personne m’a dégagé, manu militari, d’un supermarché alors que je voulais simplement faire mes courses.

À ce moment-là, j’ai réalisé que si le handicap pouvait nous limiter, une partie de la responsabilité se trouvait plutôt, ou au moins autant, au niveau de l’environnement. Ce n’est plus tellement moi qui suis limité, mais plutôt eux qui sont limitants. Et c‘est très injuste parce qu’en société, on devrait être facilitants les uns pour les autres. J’ai été réellement blessé par cet évènement ; Je me suis rendu compte que je n’étais pas le seul à le vivre, mais j’ai eu la chance d’être mis en lumière pour ça.

À la suite de cette histoire, j’ai travaillé bénévolement dans le milieu associatif, et maintenant c’est devenu mon métier. Je suis « expert de l’accessibilité », ce qui bien sûr me rend service à moi, mais aussi aux autres personnes en situation de handicap et également à la société au sens large. Je forme des gens pour qu’ils se rendent compte de leur valeur de vie avec le handicap, de ce qu’ils en ont appris, de ce qu’ils peuvent transmettre, et comment le professionnaliser.

 

As-tu remarqué une évolution dans les manières de recevoir les chiens guides dans les lieux publics depuis cet incident ?

A titre individuel, j’ai l’impression que c’est plutôt mieux. Cette histoire a servi à ce que les gens prennent conscience de l’ampleur du problème. Moi, ça m’a donné de l’aplomb, et maintenant je sais beaucoup mieux faire valoir mes droits et de manière beaucoup plus positive.

Mais ça arrive encore, malheureusement. Ce n’est pas une question de loi à faire changer, mais une question de pratique humaine à faire évoluer. C’est presque le plus difficile. D’une fois sur l’autre, on voit les fruits de notre travail, puis le lendemain il faut tout recommencer à zéro. Ça ne va pas changer du jour au lendemain, mais je pense que ça progresse quand même.

A titre personnel, je suis convaincu que former toute la population va être un combat de longue haleine ; Mais le premier combat à mener c’est déjà de nous former, nous personnes concernées, en situation de handicap, à faire respecter nos droits. Il me semble que des formations pourraient nous préparer à réagir en nous tirant vers le haut.

 

Et toi, comment réagis-tu maintenant face à ces refus ?

Maintenant, ça m’arrive encore d’avoir la moutarde qui me monte au nez. Mais je suis un peu plus tranquille, un peu plus « bouddha ».

Je réponds à la personne qu’il s’agit effectivement d’un chien, mais pas de n’importe quel chien. C’est un chien guide, et qu’en tant que consommateur dans le magasin, s’il veut que j’entre, mon chien doit entrer aussi. Et il faut le faire le plus pédagogiquement possible et le plus gentiment possible, parce que si on veut se faire accepter il faut que la personne en face trouve notre message acceptable, donc positif et sympa. C’est un gros travail que j’ai fait sur moi parce qu’en général, je réponds à quelqu’un de désagréable de façon désagréable.

 

Arthur et Loya sont "nez à truffe" au milieu d'une grande place la nuit. Ils se regardent d'un air complice.

 

As-tu davantage gain de cause en expliquant pédagogiquement tes droits ?

Ce genre d’incident arrive de moins en moins, heureusement. Mais quand ça arrive, le problème qui subsiste, c’est que la sanction ne tombe jamais vraiment méchamment. Elle ne fait donc jamais peur. 450€ d’amende pour la structure, ce n’est rien du tout, et d’ailleurs, ce n’est que très rarement appliqué. On aurait besoin d’aide en faisant appliquer des sanctions un peu plus coercitives.

Mais disons que cela n’a pas empiré. Ce que je garde comme souvenir de tout ça, c’est que oui, il y a des écueils. Des gens qui voient les chiens d’un mauvais œil, il y en a plein, et on en croisera toujours sur notre chemin. Il n’empêche que nos chiens nous rendent un tel service dans la vie que jamais je ne repasserai à la canne ou quoique ce soit d’autre. C’est tellement génial d’avoir un chien tout le temps à nos côtés, pour faciliter notre vie. C’est aussi un message à faire passer, il ne faut pas non plus que les problèmes parfois rencontrés dissuadent de la solution d’avoir un chien guide.

 

Aurais-tu un message à faire passer pour les personnes qui se trouvent dans les mêmes situations que toi ?

Le réflexe à avoir, même si on a envie de répondre avec un coup de poing, c’est de faire deux pas de recul et de se dire « je vais être gentil, pour tenter d’amener cette personne par la bienveillance et par l’intelligence à comprendre mon positionnement. » Ce n’est pas facile, mais si on veut être compris il faut être intelligible, et si on veut être accepté il faut le dire de la manière la plus acceptable et engageante possible.

 

Est-ce que tu aurais un souvenir à nous faire partager ?

Un souvenir qui me revient souvent avec mon chien, et qui me met souvent les larmes aux yeux, c’est ma toute première rencontre avec Loya. On était sur un trottoir, avec l’éducatrice de Loya, on a traversé une rue, et on s’est trouvés devant un échafaudage. J’avais remarqué l’échafaudage, mais j’ai surtout vu le regard de mon chien, qui vérifiait que j’avais bien pris connaissance de l’obstacle. Et ce regard pour moi, alors qu’on se connaissait depuis une heure, il m’a vraiment marqué. Elle avait tout compris, qui il fallait guider, comment, et tout roulait. C’est mon tout premier souvenir, et jusqu’à présent, le plus fort.

Je me suis dit à ce moment « ce n’est pas qu’un chien. C’est un polytechnichien. »

 

Mars 2023

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